Depuis le 5 septembre 2021, la Guinée vit une séquence politique exceptionnelle, née d’un coup d’État qui a mis fin à une gouvernance usée et contestée. Le peuple guinéen, profondément éprouvé par des décennies de crises politiques récurrentes, avait accueilli ce changement dans un mélange d’espoir et de prudence. Il espérait voir émerger une transition responsable, courageuse et respectueuse des principes républicains.

Presque quatre ans après, où en sommes-nous ?

La transition promise devait durer 24 mois, avec pour objectif une refondation institutionnelle et une remise à plat de l’État, afin d’aboutir à des élections libres et inclusives. À six mois de l’échéance fixée d’un commun accord avec la CEDEAO (décembre 2025), aucune date électorale n’a été annoncée, aucune feuille de route publique n’a été partagée, et les signaux d’un retour rapide à l’ordre constitutionnel restent faibles. Ce silence institutionnel, prolongé et ambigu, alimente la défiance, l’incertitude et la colère sourde d’une grande partie de la population.

Sur le fond, plusieurs réformes structurelles ont été annoncées : justice, gouvernance minière, moralisation de la vie publique. Mais dans les faits, l’État reste fragile, l’administration publique désorientée, et l’économie en souffrance. Le coût de la vie ne cesse de grimper, la pauvreté s’étend, et les jeunes – qui constituent plus de 70 % de la population – s’enfoncent dans le désespoir ou l’exil.

Plus grave encore, le climat politique est délétère : restrictions des libertés, interdictions de manifester, arrestations arbitraires de leaders politiques et sociaux, instrumentalisation de la justice, marginalisation du pluralisme. Les institutions de la transition fonctionnent, mais sans véritable ancrage dans une dynamique de concertation nationale ouverte et crédible.

À cela s’ajoute l’érosion de la confiance avec les partenaires internationaux. La CEDEAO, l’Union africaine, l’Union européenne, les Nations Unies ou encore les chancelleries occidentales observent, parfois impuissantes, la lenteur de la transition et les atteintes aux droits humains. Les sanctions ciblées et les mises en garde diplomatiques sont là pour rappeler que la Guinée ne peut durablement évoluer dans l’isolement ou dans l’opacité.

Nous sommes à un tournant. L’Histoire observe. Et elle jugera.

Il ne s’agit plus simplement d’une transition politique. Il s’agit de la capacité d’un pays à se réconcilier avec lui-même, à construire un socle de légitimité institutionnelle durable, à offrir à sa jeunesse un avenir fondé sur la compétence, l’inclusion, et la justice.

En tant qu’acteur de la société civile, observateur des dynamiques régionales, et citoyen profondément attaché à la République, je me permets de rappeler ceci : aucune transition ne peut réussir dans la méfiance, la fermeture et l’improvisation. La légitimité ne se décrète pas, elle se construit, patiemment, avec les forces vives de la Nation.

Il est encore temps. Mais le temps presse.

J’en appelle à un véritable sursaut collectif : que les autorités de transition clarifient le calendrier électoral, que les forces politiques et sociales acceptent de dialoguer avec maturité, que la communauté internationale joue pleinement son rôle d’accompagnement sans complaisance, et que chaque citoyen prenne conscience de sa responsabilité dans la construction de la paix et de la démocratie.

La Guinée ne manque pas d’intelligence, ni de ressources, ni de patriotes. Elle manque de volonté politique sincère, de méthode, et d’un engagement commun pour sortir des logiques de captation du pouvoir au détriment de l’intérêt général.

Que chacun, à son niveau, agisse avec hauteur, rigueur et conscience.

Car le pire n’est jamais loin, quand l’essentiel est négligé.

Et l’essentiel aujourd’hui, c’est de sauver la République.

 

Par Mamadou Adama Barry 

Acteur de la société civile.