En décembre 2008, le capitaine Moussa Dadis Camara n’a pas pris le pouvoir par un coup d’État brutal, mais a succédé au général Lansana Conté, décédé de mort naturelle, dans un contexte de grande incertitude politique. En tant que président du Conseil National pour la Démocratie et le Développement (CNDD), il avait pour mission de mener une transition vers un régime civil. Pourtant, sous l’influence de certains cadres corrompus et animés par des intentions malveillantes, il a envisagé de se présenter aux élections, une décision qui a suscité une vive opposition au sein de la population.

Le 28 septembre 2009, le peuple guinéen, révolté par cette tentative de confiscation du pouvoir, est descendu dans la rue pour manifester. Cette journée s’est transformée en un cauchemar sanglant, avec des centaines de manifestants tués, des femmes violées, et des milliers de blessés au stade de Conakry. Cet événement tragique, connu aujourd’hui comme le massacre du 28 septembre, a laissé une cicatrice indélébile dans l’histoire de la Guinée.

Le procès de Dadis Camara et de ses collaborateurs, qui a débuté en 2022, a permis de rendre justice aux victimes et de rappeler la gravité des crimes commis.Le 5 septembre 2021, exactement 13 ans après, la Guinée a vécu un autre bouleversement politique majeur. Cette fois-ci, le président Alpha Condé, réélu en 2020 après une modification controversée de la Constitution, est renversé par un coup d’État mené par le colonel Mamadi Doumbouya. Contrairement à la situation de 2008, ce coup de force a été accueilli par une partie de la population comme un soulagement, fatiguée par les années de gouvernance autoritaire de Condé.

Doumbouya et son Comité National du Rassemblement pour le Développement (CNRD) ont promis une transition rapide et transparente, avec des élections prévues dans un délai de 36 mois.Cependant, près de trois ans après ce putsch, les promesses du CNRD semblent s’éloigner. Les élections, censées marquer le retour à l’ordre constitutionnel, n’ont toujours pas eu lieu, et les tensions politiques s’intensifient.

La gouvernance de Doumbouya, initialement perçue comme une opportunité de renouveau, est désormais marquée par des violations des droits de l’homme, des arrestations arbitraires, et une répression croissante des voix dissidentes. Les manifestations pacifiques sont réprimées violemment, les opposants politiques sont emprisonnés, et la société civile est muselée. De plus, les allégations de corruption et de détournement de fonds publics impliquant les forces spéciales ajoutent à la méfiance envers le régime.

Pourquoi, alors, ce que nous avons refusé à Dadis et à l’armée en 2008 est-il maintenant accepté pour Doumbouya et son entourage en 2024 ? Pourquoi le peuple guinéen, autrefois si vigilant, semble-t-il tolérer aujourd’hui des abus similaires, voire pires ? Est-ce une régression dans notre lutte pour la démocratie et l’État de droit ? Ou bien sommes-nous simplement fatigués, désillusionnés par les promesses non tenues et les espoirs déçus ? Est-ce une question de peur, ou de divisions ethniques et régionales, où l’origine du leader joue un rôle déterminant dans l’acceptation ou le rejet de son régime ?Ces questions sont cruciales pour l’avenir de la Guinée.

Nous devons réfléchir sérieusement à ce que nous voulons pour notre pays. Les valeurs de justice, de démocratie et de respect des droits humains ne doivent pas être sacrifiées. Il est temps de se lever à nouveau, de demander des comptes, et de s’assurer que la transition actuelle ne soit pas un autre chapitre sombre de notre histoire.

Mamadou Barry
Acteur de la société civile Guinéenne