Après un verdict contesté, l’affaire de détournement d’un méga-projet minier à Boffa rebondit devant la Cour d’appel. Témoignages, preuves accablantes et dénonciations explosives secouent la justice guinéenne.

– C’est une affaire aux allures de scandale d’État qui continue de faire des vagues dans le milieu judiciaire et économique guinéen. Le 19 mai 2025, contre toute attente, le Tribunal de Première Instance (TPI) de Kaloum a prononcé la relaxe de l’ancien ministre des Mines et de la Géologie, Ahmed Kanté, dans le dossier explosif qui l’oppose à l’homme d’affaires russe Alexandre Zotov, patron de la société African Bauxite Corporation (ABC).

Pourtant, les accusations portées à l’encontre de M. Kanté – abus de confiance, concurrence déloyale, spoliation de projet et détournement présumé de plus de 50 millions de dollars – reposaient sur un faisceau de preuves que la partie civile estime irréfutable. Loin de tourner la page, Zotov et son avocat, Me Alkaly Mohamed Touré, ont contre-attaqué lors d’une conférence de presse tenue le 13 juin, dévoilant de nouvelles révélations accablantes et annonçant avoir interjeté appel devant la Cour d’appel de Conakry, tout comme le procureur général.

Installé en Guinée depuis 2010, Alexandre Zotov a injecté des dizaines de millions de dollars dans des projets d’infrastructures minières à Boffa, notamment la construction d’un port multifonction à Kokaya. En 2016, il entre en contact avec Ahmed Kanté, alors directeur général de la SOGUIPAMI (Société guinéenne du patrimoine minier), avant que leur collaboration ne se transforme en partenariat commercial privé.

Zotov affirme avoir signé en septembre 2017 un contrat tripartite avec M. Kanté et son épouse, via une société nouvellement créée, IPCC, censée faciliter la mise en œuvre du projet. Par la suite, il fonde ERM Mining, devenue ABC, qui scelle des accords avec les sociétés minières AXIS et GBT. Plusieurs millions sont investis dans des études de faisabilité. En novembre 2018, les sociétés obtiennent leurs licences d’exploitation.

 

Au début de 2019, Zotov obtient un accord de financement avec SB Mining. L’objectif : créer une joint-venture, AB2SA, où ABC devait détenir 58 % des parts contre 42 % pour le partenaire financier, sur un projet global valorisé à 80 millions de dollars.

 

Mais à peine les documents signés, le cauchemar commence. Selon Zotov, Kanté, en compagnie de Claude Lorcy (aujourd’hui décédé) et Philippe Roger, aurait usurpé le projet, en créant une société parallèle nommée GIC, laquelle aurait frauduleusement récupéré les actifs et les avantages du contrat, sans y avoir investi le moindre centime. Cette société serait ensuite devenue majoritaire dans AB2SA, reléguant ABC – véritable initiatrice du projet – au rang de spectateur.

« Ahmed Kanté m’a tout pris »

« Il m’a pris mon argent, mes idées, mes contacts, et seize années de ma vie », a déclaré Zotov avec émotion. Pour lui, l’ancien ministre aurait utilisé son influence pour manipuler les institutions, détourner les droits de propriété intellectuelle du projet, et imposer sa propre société comme partenaire stratégique.

Son avocat, Me Touré, parle sans détour d’une “opération mafieuse montée avec l’appui de cadres véreux”, et dénonce un jugement “taillé sur mesure”. Il accuse les magistrats du TPI de Kaloum d’avoir volontairement écarté des preuves clés, alors même que le parquet avait requis trois ans d’emprisonnement ferme contre les prévenus.

Le jugement n°157 du 19 mai 2025, renvoyant Ahmed Kanté et ses co-accusés des fins de la poursuite, est perçu comme un camouflet par la partie civile. Selon Me Touré, “il y a eu dénaturation manifeste des faits, altération des déclarations des témoins, et contradictions flagrantes dans la motivation du jugement”.

Il s’insurge notamment contre l’argument selon lequel ABC “n’aurait pas investi directement”, alors que sa filiale ERM Mining a injecté des millions dans le projet. De même, la prétendue ignorance de Kanté sur les données du projet est balayée par l’avocat : “On ne peut pas être consultant sans connaître l’ingénierie du projet. C’est une absurdité.”

Au-delà du contentieux privé, Alexandre Zotov évoque les conséquences dramatiques de cette affaire pour l’économie guinéenne. Il affirme que son projet comprenait une raffinerie de pétrole, qui aurait pu éviter à la Guinée la pénurie de carburant consécutive à l’explosion du dépôt en 2023. “Tout est prêt. Les équipements sont stockés en Russie. Mais aujourd’hui, ce rêve est brisé par des manœuvres sordides”, déplore-t-il.

« Cette affaire est un test pour l’État de droit en Guinée. Ce que nous demandons, ce n’est pas un procès à charge, mais une justice équitable »

L’ambassade de Russie en Guinée suit de très près le dossier, tout comme plusieurs investisseurs internationaux attentifs à la manière dont la Guinée traite ses partenaires économiques.

Désormais, tous les regards sont tournés vers la Cour d’appel de Conakry. L’issue de ce second round judiciaire pourrait redéfinir les rapports entre l’État guinéen et les investisseurs étrangers.

Pour Alexandre Zotov, l’enjeu dépasse sa personne : « Ce combat, je le mène pour moi, mais aussi pour tous ceux qui veulent encore croire que la Guinée est un pays d’opportunités, et non de prédation. »

 

 Article produit par Nimba224.com